c’est demeuré pour moi un objet un peu mélancolique

J’aime la brutalité et l’éloquence en littérature. J’aime ces brèches qui ne sont pas calculées dans le texte, et qui font en sorte que l’on se retrouve au milieu d’un spectacle. Un peu comme ces scènes de scandale chez Dostoïevski. Les drames intrapsychiques, les discours dépressifs et les aveux. On finit par abandonner notre narcissisme et se réconcilier avec les parties les plus sombres de soi – et des autres!

Pourtant, je ne cherche pas la réconciliation. Je viens de commencer un essai de David Foster Wallace. Je ne sais pas combien de pages j’ai lues. Peut-être vingt, peut-être trente pages. Je me suis retrouvé dans un espace familier où l’expérience est sans cesse contestée. Je connais bien l’endroit. Tout va bien! On a l’impression, d’abord, que l’ordre est respecté. Il n’y a rien d’alarmant.

Puis, quelqu’un semble m’appeler. Je me retourne. Le pied glisse au moment où je me dirige vers la voix. Tout le corps s’incline vers l’avant, et je réussis à peine à me redresser. Mais voilà, les choses ne sont plus comme elles devraient l’être. Vous voyez un peu? Le sol n’est plus solide, et quoi que l’on fasse, les erreurs vont se multiplier. Comme dans un film de Buster Keaton.

C’est ce que je veux dire, sans doute. Écrire c’est un combat que l’on a perdu à l’avance. Je pourrais essayer de supprimer tous les mots inutiles. Je pourrais traverser l’Amérique et vous faire voir à quelle éternité vous êtes condamné. Je pourrais fermer les yeux et vous montrer comment le monde disparaît.

La mélancolie de Wallace vient de la mort des mots qui couvrent le paysage et qui pèsent comme une fatalité sur les situations les plus anodines. Je le comprends. Pour ma part, j’ai toujours eu la manie du ciseau. Je coupe les phrases. Je les tranche. Si je pouvais, je sectionnerais les mots. Je déplacerais les syllabes. J’écorcherais les voyelles. Mais j’aime bien l’étrange abandon mélancolique de Wallace. Il n’y a pas d’atomes au langage.