les monstres
À vrai dire, les monstres m’ont toujours suivi. Je marchais dans la rue, je me retournais, et je pouvais les apercevoir. Parfois, un monstre était seul et silencieux et il me regardait de loin en hochant la tête, comme s’il me connaissait. Je trouvais le spectacle navrant. Il était là dans l’ombre, comme un vieux chameau, en m’adressant un signe de tête. Je ne le haïssais pas. Je crois qu’au départ, cela m’était indifférent. Je poursuivais mon chemin. Je pouvais les abandonner à leur sort.
Parfois, dans une foule ou une fête, ils ne se dissimulaient plus. Les monstres m’entouraient. Ils poussaient la grossièreté jusqu’à me caresser la panse et me disaient qu’un jour on devrait régler nos comptes. J’avais bu et, comme à l’habitude, j’avais l’air d’un idiot. Dans ces moments, je suis comme un marin qui revient d’un long voyage. Je n’ai plus d’identité réelle. Je veux dire ma vie est alors uniquement un produit du langage. Je me mets à raconter des histoires.
Les monstres m’encourageaient, bien sûr. Ils voulaient en savoir davantage. Ils m’entouraient. Leurs visages angoissés et voluptueux, qui ressemblaient à une mauvaise caricature, se pressaient contre le mien.
– Raconte! disaient-ils. Dis-nous tes petits secrets! Arrête de niaiser!
Je ne le savais pas encore à l’époque, mais les monstres s’adaptaient à ma vie. Ils râlaient lorsque je n’en pouvais plus. Ils étaient discrets lorsque je méditais. Ils suivaient des règles claires. Ils étaient aussi prévisibles qu’un film hollywoodien.
Mais les règles qui régissent notre vie nous sont inconnues, jusqu’à ce jour où les monstres ne sont plus autour de nous.