Histoire de deuil

Vos quatre garçons ont chacun leur langage. Ils ont chacun leur monde d’abondance, ces moments où ils se désintègrent pour tomber mollement dans leur psyché. Les bouts de réalité qui échappent au temps, les grands corridors de l’école soudainement vides, le champ rempli de choux à l’arrière de la maison, où vous allez vous promener en bicyclette en famille.

Votre femme et vos enfants vous ont appris à vivre. Votre amoureuse est en deuil. Ses pleurs coulent durant le jour sans que rien ne puisse l’apaiser. C’est une rivière intérieure qui se libère, une voie lactée de solitude, un immense amour qui s’est transformé en torrent. Ce chagrin a une beauté étrange. Ce n’est pas une transcription. Ce n’est pas un mot que vous vous mettez à répéter. Cela déboule, comme jamais une phrase ne pourrait le faire.

Vous ressentez ce vide. Les enfants ont des peines brusques et violentes, puis ils sont happés par la vie. Ils atteignent chaque jour un certain degré de perfection et de plénitude. Parfois, ils s’évadent de la maison et établissent leurs propres règles. Ils vous épuisent, balisent votre existence, vous étonnent, vous exaspèrent, vous surprennent.

Le langage est insuffisant. C’est ce que le deuil vous a appris. Le langage perd toute résistance. Les mots ne peuvent plus s’ordonner dans une même série. Ils ont tendance à se regrouper bizarrement en petits tas. Ils s’écoulent dans les pleurs. Vous appelez ça une crypte.