Je n’aime pas les héros
Il y a des gens qui ne vivent pas. D’autres qui n’ont jamais pleinement goûté à la joie ou à la jouissance. Il y a des gens que l’on oublie et d’autres que l’on croise à l’épicerie et dont les visages restent imprimés en nous.
Il y a tous ces gens qui s’entassent dans notre mémoire, et dont on ne sait plus quoi faire. Parfois on les laisse parler. Puis on se dit qu’on ne les reverra plus. Ils n’ont peut-être même pas existé. Ou ils étaient des héros. Une reine. Des fous. Des assassins.
Je l’ai dit : je n’aime pas les héros. Je n’ai aucune fascination pour les gens riches, les demi-dieux qui larmoient sur les terrains de football, les chanteuses qui prennent des poses théâtrales, adulées par une foule qui cherche une raison de vivre ou de conquête.
Je me suis toujours senti plus à l’aise avec les morts. C’est en leur compagnie que je pouvais être porté par la foi. Je me retrouvais dans l’obscurité d’une petite chambre de Saint-Pétersbourg, à grelotter de froid et à préparer le samovar.
– Toutes ces pensées sont misérables! me dit Ramiotov en secouant son veston usé et en me souriant avec une certaine méfiance. Vous faites semblant de ne pas comprendre!
Les mots avaient cette capacité de traverser le temps, sans la nostalgie des vieilles photographies. Et je pouvais les reprendre sans fin, les déplacer, en faire un lieu enchanteur d’où je ne pourrais plus m’enfuir.