Rentrée littéraire
par Pierre Yergeau
J’étais chez Québec-Amérique, pour le lancement de leurs nouveaux locaux et de la saison littéraire. Je pensais y aller avec Zoé, mon dernier fils. J’avais sans doute besoin d’un regard qui voit en chaque chose une promesse, une avenue qui ne se dirige pas tout droit vers un cul-de-sac, une sensibilité différente, aiguisée et critique! Il ne pouvait venir. J’ai commencé une vidéo en direct sur Instagram, pour mon autre fils, Kim, mais je ne savais vraiment pas si cela fonctionnait et j’ai coupé. D’ailleurs, j’avais l’air plutôt fin finaud à parler à mon iPhone en essayant de me frayer un chemin entre les convives. J’ai finalement pris une photographie de ma gueule avec mon drôle de sourire tout croche, observant en silence le panorama derrière moi, le tressaillement discret des corps, les littéraires qui se collaient au buffet et essayaient d’afficher leurs plus belles contenances. Je me suis retrouvé près de Jacques Fortin – j’ai levé mon verre à son endroit en le saluant, un petit homme charmant qui visiblement n’avait pas le goût de discuter avec des inconnus. J’aurais voulu lui dire que ses locaux étaient époustouflants. On se croirait dans la Station spatiale internationale. On a le goût de tomber à genoux et de se mettre à prier le dictionnaire visuel. C’est magnifique. Il a baissé les yeux et je n’ai pas osé me lancer dans une de mes tirades ironiques. D’ailleurs, les employés de Québec Amérique me faisaient penser aux employés de Wal-Mart – vous faisiez un pas dans leur direction et ils bondissaient de côté. Ils partaient dans une valse, en jetant des éclats de rire. Un linguiste près de moi avait une question à leur poser et essayait de s’approcher discrètement d’eux, mais il n’avait pas la technique. Finalement, le linguiste est resté seul au milieu de la salle, en souriant vaguement, avec beaucoup de classe.
J’ai parlé à Laure A. qui croquait dans un hors-d’œuvre, une sorte de pâté beige sur un crouton. Je n’aurais pas pu mieux choisir mon temps pour l’interrompre. Elle s’est étouffée. Une relationniste est arrivée en trombe pour lui faire la manœuvre de Heimlich. Il y a eu un brouhaha et j’en ai profité pour attraper un employé de QA et l’amener au linguiste. L’employé se débattait, mais je le tenais ferme. Le linguiste était heureux, mais il n’arrivait pas à exprimer clairement sa pensée. D’ailleurs, il avait oublié pourquoi il était à cet endroit. Il m’a expliqué qu’il venait de prendre sa retraite et que sa mémoire lui faisait parfois défaut. Je me suis dit que si je restais plus longtemps, je me mettrais à jouer à la roulette russe. Je suis parti. Enfin, c’était magnifique, et je vous souhaite à tous une bonne rentrée littéraire!