La guitare
par Pierre Yergeau
Je suis un très mauvais guitariste. Je jouais uniquement avec Jack. Après avoir bu et mangé, on prenait nos guitares. Je martelais les accords. Il se concentrait sur la mélodie : un faisceau de notes qu’il travaillait avec un plaisir évident. On continuait de boire et, vers la fin de la soirée, on se trouvait épatants et inspirés.
J’ai continué à gratter la guitare, seul. Un jour, des chansons sont apparues. Je n’ai pas de voix pour les chanter. Mais cela m’a donné le goût de marteler les paroles, de donner une cadence précise, un rythme aux mots.
Lorsque je travaillais sur Le père d’Usman — qui décrit mes années à Londres au début des années 80, alors que j’étais un jeune écrivain punk — je n’arrivais pas à prendre mon élan. Je le construisais péniblement, et il s’effondrait. Ce jeu d’échecs s’est poursuivi jusqu’à ce que je trouve mon personnage muet, Usman.
Ce n’était pas un hasard. Le personnage muet. Les choses qu’on ne peut dire ou que l’on n’arrive pas à exprimer. Usman m’a permis de terminer le livre. En trichant, si vous voulez.
Je suis resté dans cette position où il m’était presque impossible d’écrire. La guitare m’a curieusement permis d’écrire mon dernier livre : La théorie de l’existence. Je ne sais pas ce qu’il va devenir. Mais je sais que c’est un livre juste – comme l’était Le père d’Usman.