LA CAGE DE VERRE

par Pierre Yergeau

Il y a plein d’endroits où il m’est désormais interdit d’aller. Le temps est une cage de verre. Toute cette transparence est une illusion. Nous sommes enlacés là-bas. Elle rit et me regarde. Nous avons mangé dans ce restaurant chic fermé par la pandémie. Les parois de verre sont rigides. Je ne peux les franchir. Je regarde, tout à fait impuissant.

– Tu sais comment aimer. Mais après ma mort, tu le sauras encore plus.

J’ai découvert cette phrase dans un cahier noir qu’elle m’a laissé. Je lui avais apporté des cahiers à l’hôpital, mais je ne croyais pas qu’elle avait eu le temps d’écrire quoi que ce soit. Lorsqu’elle évoquait ce temps où elle ne serait plus, et où moi je poursuivrais la vie sans elle, je me tenais sur le bord d’une falaise. C’était comme vivre un deuil avant qu’il ne survienne.

Je suis dans un de ces lieux où il ne m’est pas possible de fuir. Lorsque son corps ne bougeait pas dans la nuit et me semblait curieusement inerte, je me soulevais pour vérifier qu’elle respirait toujours. Parfois, encore aujourd’hui, je me lève dans la nuit pour vérifier sa respiration.

Elle est là-bas, derrière la vitre que je ne peux franchir. Elle respire faiblement sous le masque d’oxygène. Je la vois. C’est son corps que j’ai perdu. Je ne peux imaginer l’au-delà. Je m’en fiche un peu. Ce que je sais, c’est que je n’ai plus son corps.