Mon beau Phoenix
par Pierre Yergeau
– On a réussi, dit-elle.
C’est difficile pour moi d’affirmer qu’il y ait quoi que ce soit de réussi dans la mort. Elle était jeune. Elle n’avait pas d’âge, comme un théorème. Son esprit possédait une formidable architecture.
– On a réussi, m’a-t-elle dit en me jetant un regard apaisé, presque serein, lucide, malgré la morphine.
Une partie de moi était fier. On avait réussi. Nous étions là, toute la famille, à la maison. Nous dormions ensemble, moi et elle, la grande fenêtre de la chambre ouverte sur les montagnes laurentiennes. Elle allait mourir à la maison. C’est ce que je souhaitais le plus au monde.
Le dernier jour, les conversations étaient plus laborieuses, ou plutôt elles étaient parfaitement inutiles.
J’aimais rester éveillé près d’elle. Le lit médical dans lequel elle dormait était à moitié soulevé. Elle respirait mieux ainsi, avec le masque à oxygène. Mon lit était collé au sien. J’empilais les oreillers pour être à sa hauteur. Une partie de mon dos était sur son matelas. Ma main reposait sur sa cuisse gauche.
Je sentais son corps qui était plus froid. Le sang ne circulait plus aussi bien. Avec les rideaux ouverts, il y avait toujours un peu de lumière. Un peu plus loin, dans la salle à manger, on entendait le grondement du compresseur qui fournissait l’oxygène. Quelquefois, c’est comme si l’univers était inhabité. Je perdais le compte de nos souvenirs. Je caressais sa cuisse.
– Je n’ai pas abandonné, dit-elle. Je suis vaincue. Tu ne m’en veux pas? J’aurais aimé rester ici. Notre maison est si belle!