la guerre des Falklands

par Pierre Yergeau

Nous avions passé la soirée dans un bar de Soho à attendre Avril qui n’était pas venue. On ne pouvait pas s’asseoir sans consommer, alors on se retrouvait sur ce qui ressemblait vaguement à une piste de danse à hurler et à se déhancher.

Cunningham dansait vaguement avec deux filles. L’une d’elle portait une épingle sur sa casquette et l’autre avait des bottes couvertes de peinture. Il est allé immédiatement vers Guido, en le serrant dans ses bras couverts de sueur. Guido ne touchait plus terre. Il a pointé comiquement un doigt dans ma direction. Cunningham m’a lancé un sourire et a hoché la tête, en guise de salutation.

Une sorte de clameur s’élevait à chaque accord sourd de guitare, qui correspondait au martèlement des pas sur la piste. Les corps ressemblaient à des branchages, des éléments végétaux sous la mer, des squelettes pris de convulsions. Guido ne pouvait s’empêcher de surveiller l’entrée du bar, en trépignant sur place.

– What is… dit la fille.

–  Hey!

–  It sucks! Osh…

– Yes, nice evening, dis-je.

–  Kwhat?

Il était impossible de se comprendre. Pourtant, certaines personnes semblaient poursuivre de longs entretiens en gesticulant. Lorsque je m’approchais d’eux, je n’entendais que des exclamations, des rires et des grognements.

La conversation était ainsi dépouillée à sa plus simple expression. On récitait Homère en se tenant le tête dans les mains. Je pouvais évoquer Sylvia Plath en criant, et parler de la neige, des bruits de froissement de feuille des peupliers en bordure des cours d’eau.

Sur la piste, un type donnait l’impression de cogner le vide en sautant sur place. Il avait la splendeur d’une statue qui prend vie, avec des gestes saccadés d’insecte. Il n’y avait là aucune exaltation mystique : ce n’était que des bras qui traçaient des figures désordonnées et nerveuses. Une fille près de moi a dit quelque chose. Il m’était impossible de l’entendre. Peut-être criait-elle à l’aide. J’ai hoché la tête et elle est disparue.

Une sorte de clameur s’élevait à chaque accord de guitare, qui correspondait au martèlement des pas sur la piste et à ces corps qui ressemblaient à des branchages, des éléments végétaux sous la mer, des squelettes pris de convulsions. Guido ne pouvait s’empêcher de surveiller l’entrée, en trépignant sur place. Il se faufilait en direction du bar.

Je l’ai accompagné. Les corps étaient chauds et moites, les visages luisants de sueur. Il y avait des odeurs d’intimité, des parfums de fleurs, de mécaniques et de moiteurs.

– Hye!

– Hohey!

– Blurp!

Je pouvais évoquer le schlamm en beuglant, et parler de la fonte de la neige dans le village minier, de la boue, des nuits de désenchantement à écrire des poèmes qui ne seraient jamais lu.

De la guerre des Falklands et de Margareth Tatcher, des nouvelles céréales croquantes, de la publicité dans les impériales, de la hausse des taux d’intérêt, de Pacman qui bouffait toutes les gommes sur son chemin, de Marguerite Yourcenar qui venait d’entrer à l’Académie française, du Zimbabwe et des types qui respiraient de la colle dans des sacs de plastique au coin des rues.

– La vita è bella! cria Guido.

Nous nous sommes retrouvés à l’extérieur. Les piétons s’éparpillaient. J’ai fumé une cigarette en marchant. Les pavés étaient humides et sombres. Des rideaux métalliques couvraient les vitrines. Des parties de l’asphalte semblaient rapiécées.

J’aimais Soho et ses vieux réverbères. Les rues étroites, bordées d’édifices à bureaux récents, de gargotes, d’appartements louches. Ce quartier avait deux vies. Le jour il y avait des marchands de poisson qui ouvraient des kiosques ambulants et des bouts de quartier semblaient désertées. La nuit les rues s’illuminaient.

– Bon je dois partir, dit Guido. Ma mère dit que je dois signer des papiers…

– Tu vas revenir?

– Je crois.

Guido me raconta qu’Usman lui avait dit que le chien de son père essayait de déterrer le mort. Le chien était inconsolable. Il n’arrêtait pas de creuser. Il aimait également beaucoup courir dans la verdure du cimetière.