Le conte de Virgina ou l’orignal de Picadelly Circus

par Pierre Yergeau

– TU VAS PAS T’EN ALLER.

Virginia a ouvert les yeux. Sa mère a eu un éclat de rire aigu qui ressemblait à un pleur. Virginia s’est soulevée sur son oreiller. Il était huit heures et demie sur le vieux réveil-matin électrique qui appartenait à son père. Les chiffres rouges vacillaient. Les ombres du soir déferlaient dans la chambre. Quelquefois, lorsque son corps était au repos, ces ombres la soulevaient dans les airs. Virginia restait là, les yeux fermés, le corps flottant dans la noirceur.

– Ça vaut pas la peine de discuter. On va…

– Je pensais que l’on irait ensemble tous les deux dans les bois.

– La petite?

– Elle dort.

Certains soirs, Virginia n’était pas certaine si elle dormait ou si elle était éveillée. Peut-être que les morts se posaient la même question. Ils étaient là immobiles dans leur beau cercueil blanc. Les mots se défaisaient. Du jour au lendemain, les mots n’adhéraient plus aux objets. Quand il n’y a plus de paroles, il n’y a plus de différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Le corps s’éloigne.

Sa chatte était morte par une belle journée de printemps. Bon, elle était vieille. Elle était si vieille que parfois elle avait peine à retrouver son plat de nourriture. Elle miaulait dans la cuisine en regardant à droite et à gauche. Sa chatte s’appelait Fisher, parce qu’elle avait cherché à attraper un poisson rouge. Il y a de cela très longtemps.

– Tu le fais exprès.

– Tu as vu mon gilet harlequin?

– Tu rigoles.

– Non. Celui que je mets avec mon costume gris.

– TU T’EN VAS?

Certaines nuits, les chiffres rouges du réveil-matin brillaient comme des astres dans la nuit. Virginia ouvrait à demi les yeux. Elle regardait durant quelque temps une absence. Elle n’aimait pas les samedis matins, parce qu’alors il n’y avait plus rien de fixe. Elle n’avait pas à se lever et elle restait là étendue durant de longues heures à se demander quand la journée allait commencer.